Blog d'une enseignante
« Elle était là, partout, devant lui, immense, gonflée comme la pente d'une montagne, brillant de sa couleur bleue, profonde, toute proche, avec ses vagues hautes qui avançaient vers lui. « La mer ! La mer ! » pensait Daniel, mais il n'osa rien dire à voix haute. Il restait sans pouvoir bouger, les doigts un peu écartés, et il n'arrivait pas à réaliser qu'il avait dormi à côté d'elle. Il entendait le bruit lent des vagues qui se mouvaient sur la plage. Il n'y avait plus de vent, tout à coup, et le soleil luisait sur la mer, allumait un feu sur chaque crête de vague. Le sable de la plage était couleur de cendres, lisse, traversé de ruisseaux et couvert de larges flaques qui reflétaient le ciel. Au fond de lui-même, Daniel a répété le beau nom plusieurs fois, comme cela, « La mer, la mer, la mer… » la tête pleine de bruit et de vertige. Il avait envie de parler, de crier même, mais sa gorge ne laissait pas passer sa voix. Alors il fallait qu'il parte en criant, en jetant très loin son sac bleu qui roula dans le sable, il fallait qu'il parte en agitant ses bras et ses jambes comme quelqu'un qui traverse une autoroute. Il bondissait par dessus les bandes de varech (1), il titubait dans le sable sec du haut de la plage. Il ôtait ses chaussures et ses chaussettes, et pieds nus, il courait encore plus vite, sans sentir les épines des chardons. La mer était loin, à l'autre bout de la plaine de sable. Elle brillait dans la lumière, elle changeait de couleur et d'aspect, étendue bleue, puis grise, verte, presque noire, bancs de sable ocre, ourlets blancs des vagues. Daniel ne savait pas qu'elle était si loin. Il continuait à courir, les bras serrés contre son corps, le cœur cognant de toutes ses forces dans sa poitrine. Maintenant il sentait le sable dur comme l'asphalte, humide et froid sous ses pieds. À mesure qu'il approchait, le bruit grandissait, emplissait tout comme un sifflement de vapeur. C'était un bruit très doux et très lent, puis violent et inquiétant comme les trains sur les ponts de fer, ou bien qui fuyait en arrière comme l'eau des fleuves. Mais Daniel n'avait pas peur. Il continuait à courir le plus vite qu'il pouvait, droit dans l'air froid, sans regarder ailleurs. Quand il ne fut plus qu'à quelques mètres de la frange d'écume, il sentit l'odeur des profondeurs et il s'arrêta. Un point de côté brûlait son aine, et l'odeur puissante de l'eau salée l'empêchait de reprendre son souffle. Il s'assit sur le sable mouillé, et il regarda la mer monter devant lui presque jusqu'au centre du ciel. Il avait tellement pensé à cet instant-là, il avait tellement imaginé le jour où il la verrait enfin, réellement, pas comme sur les photos ou comme au cinéma, mais vraiment, la mer toute entière, exposée autour de lui, gonflée avec les gros dos des vagues qui se précipitent et déferlent, les nuages d'écume, les pluies d'embrun (2) en poussière dans la lumière du soleil, et surtout, au loin, cet horizon courbe comme un mur devant le ciel ! Il avait tellement désiré cet instant-là qu'il n'avait plus de forces, comme s'il allait mourir, ou s'endormir. C'était bien la mer, sa mer, pour lui seul maintenant, et il savait qu'il ne pourrait plus jamais s'en aller. »